Orvert Latuile vous fait visiter Grenoble #1
Le parc mistral est l’un des rares espaces verts que l’on trouve dans cette ville, en dehors des petites places bien ordonnées où trois mètres carrés de pelouse proprette servent d’écrin chiant à une fontaine à sec ou bien encore à la statue d’un homme illustre pétrifié d’ennui. C’est pourquoi on l’appelle « LE parc».
Mieux qu’un espace vert, le parc est un vrai coin de nature dans une ville trop étouffante. Un coin de nature avec le wifi.
On trouve diverses espèces peuplant le parc : le pigeon con, le moineau et d’autres petit zoiseaux mignons, l’ espiègle écureuil, et enfin le vieux.
Le vieux habite le parc, contrairement aux autres gens qui n’y sont que de passage pour bronzer, jouer au foot ou rattrapper leur chien. Du matin au soir on est sûr de croiser quelques vieux. Quand il n’y a personne, le vieux se déplace lentement dans les grandes allées vides. Espèce autochtone, le vieux n’effraie pas les pigeons ; il les nourrit parfois. Quand il y a du monde le vieux occupe un banc, en se mettant bien au milieu s’il est seul. Si deux vieux veulent disserter, ils s’installeront sur deux bancs voisins, chacun à une extrémité. Les vieux meurent généralement sur leur banc. Comme c’est dégueulasse et qu’on ne veut pas que les enfants jouent avec, les employés chargés du nettoyage les ramassent au petit matin avec les poubelles et les papiers gras.
Les petizoiseaux servent à embellir le parc. à la vue de leurs jeux enfantins le promeneur se réjouit. Ils fournissent également un fond sonore des plus agréables. Ce que l’on ignore c’est que les petizoiseaux nous narguent en permanence, à s’ébrouer mignonnement dans les flaques d’eau, à se poursuivre partout et à jouer continuellement, le tout en volant, en chantant et sans jamais rien foutre de la journée, alors que vous, non, vous ne pouvez pas. Tout de suite on les trouve moins sympathiques.
On les trouve cependant toujours plus sympa que les pigeons cons. Qu’est-ce qu’il a l’air con, le pigeon. Ça façon de marcher est ridicule. Et ce regard... qu’y-a-t’il de plus con que le regard du pigeon ? son chant n’est pas mélodieux non plus. En plus ils sont envahissants, sales, et ils soulèvent beaucoup de poussière et de saletés lorsqu’ils se posent ou s’envolent. Alors que les petizoiseaux s’envolent très rapidement à votre approche, vous permettant ainsi de poursuivre votre chemin ou une jolie joggeuse sereinement, le pigeon, lui, essaie maladroitement de vous éviter, et tente pour cela de marcher très vite, de plus en plus vite, alors que tout le monde sait (sauf lui, vraisemblablement) qu’il n’est pas taillé pour ça. Alors, quand vous avez coupé votre élan (vous faisant perdre alors 10 à 15 mètres sur la joggeuse), ce con de pigeon décide enfin de s’envoler. Font chier, ces pigeons. Mais soyons honnêtes. Ce n’est pas pour ça que le pigeon nous énerve autant. Si l’on déteste ce foutu pigeon c’est parce que même s’il s’y prend au dernier moment, il vole, lui. Il a beau être sale, ridicule et con, il vole, et toi, tu ne pourras jamais. Tu pourras faire ce que tu voudras, jamais tu ne voleras. Et tu peux vraiment vivre avec cette certitude ? moi ça me rend malade.
On notera également dans le Parc la présence de nombreux écureuils malicieux. L'écureuil malicieux n'est pas facile à photographier. Il prend même un malin plaisir à ne pas se laisser photographier. Le procédé est simple:
vous apercevez un écureuil, visiblement malicieux.
Vous vous en approchez lentement, afin de le photographier. Le malicieux rongeur ne bouge pas.
Vous approchez de plus en plus, l'appareil est prêt à saisir numériquement la boule de poils rousse prolongée d'une longue queue touffue.
Vous stoppez, jugeant la distance minimale atteinte, et cadrez lentement l'animal. Vous sentez que ça y est, vous allez avoir une belle photo d'écureuil, votre lente approche que les passants semblaient trouver fort distrayante ne vous aura pas ridiculisé en vain.
Et là, patatra. L'écureuil bondit avec une agilité somme toute assez logique pour un rongeur roux de sa corpulence, sur un tronc, puis sur une branche, puis s'en va se planquer dans le feuillage en vous narguant de ses petits cris. Tout cela n'a duré qu'une seconde, et deux cas de figure s'offre à vous: soit vous n'avez pas pris la photo, et vous êtes dégoûtés, soit vous l'avez prise et elle ne montre qu'un carré de pelouse ombragée; vous êtes quand même dégoûtés. Et ridicule.
Rendons justice aux écureuils, ce n'est pas toujours leur faute. Il arrive que la jeune et jolie joggeuse de tout à l'heure repasse et l'effraie.
À l'ouest du Parc se trouvent des équipements sportifs qui le rongent de plus en plus. À l'est se trouvent un ou deux petits monuments. Si on vous parle des Diables Bleus, ce n'est pas d'une boîte gay aux tendances sado-maso qu'il s'agit, mais d'un monument à la gloire des chasseurs alpins.
Le principal édifice du Parc est la tour Perret. Elle date de l'exposition sur la houille blanche des années 20, mesure 80 mètres et ressemble à un phare. Son béton s'effrite et ça lui donne des allures de vieilles dame. On n'a pas le droit d'y entrer. Et pourtant j'ai envie. J'aimerai trouver une fille que n'effraie pas la perspective de tribulations nocturnes et illégales afin de rejoindre la tour de nuit, ouvrir ses portes dans un grand fracas de bois et de pied de biche, gravir ses marches lentement avec le rire d'enfants faisant une bêtise et à la lueur d'une petite lampe de poche, atteindre le sommet et de là contempler la ville et les montagnes, en profiter pour lui faire des bisous dans le cou, attendre le petit matin et voir le soleil se lever sur la canopée du Parc où les petits zoiseaux s'ébrouent, les écureuils s'amusent et où les pigeons volent.
Orvert Latuile.
ps: les candidates à l'exploration nocturne et aux bisous dans le cou peuvent laisser leurs coordonnées ici même dans les commentaires.